L’hypnose est aujourd’hui largement utilisée pour abandonner des comportements ou habitudes délétères, pour explorer les mécanismes inconscients ou rétablir un dialogue avec des “parties” oubliées de notre personnalité, mais on connaît moins son usage dans l’accompagnement du traumatisme psychique. Et pourtant, les mécanismes qui sous-tendent la pratique de l’hypnose en font un outil particulièrement efficace dans ce cadre-là et notamment dans le cas d’un traumatisme précoce et/ou complexe (voir article “Reconnaître le traumatisme psychique” – lien) ou de souvenirs de l’enfance non résolus.

La mémoire traumatique

Le traumatisme psychique se caractérise par 3 symptômes principaux :

• Les reviviscences : “revivre” l’événement à l’origine du traumatisme, à travers des flashbacks, des souvenirs ou pensées intrusifs, des cauchemars, des émotions intenses …
• Les conduites d’évitement : stratégies mises en place pour éviter la résurgence du souvenir et des émotions associées
• L’hyperactivation du système nerveux : état de stress, hypervigilance.

On constate donc que le traumatisme est très en lien avec la mémoire, le souvenir. En effet, l’information traumatique, non-traitée par le cerveau qui s’est retrouvé dépassé par l’intensité de l’émotion vécue, reste présente dans la mémoire, comme un souvenir constitué d’images, d’odeurs, de sensations, de sons et éventuellement de goûts, de sensations de textures associés à des pensées (“Je suis en danger”, “Je suis méchant” …) et des émotions (peur, dégoût, honte, culpabilité …). À chaque fois qu’une situation va être détectée par notre cerveau comme ressemblant de près ou de loin à ce qui a été vécu, le souvenir traumatique va être réactivé, laissant remonter à la conscience les images, perceptions, sensations, émotions et pensées éventuellement associées.

Sachant qu’un souvenir est mieux enregistré dans la mémoire à long terme s’il est accompagné d’émotions, les événements difficiles potentiellement traumatisants sont encore mieux consolidés. C’est pour cette raison que nous nous souvenons généralement mieux d’événements particulièrement heureux, effrayants ou malheureux survenus il y a de nombreuses années, plutôt que du programme de notre journée d’il y a 2 semaines.

Reconsolidation de la mémoire

Un souvenir acquis est labile (peut être changé, instable), sensible aux interférences et à l’oubli tant qu’il est actif ou dans la mémoire à court terme. On parle de consolidation lorsqu’il se stabilise dans la mémoire à long terme.

Évelyne Josse, psychologue clinicienne et hypnothérapeute spécialiste en psychotraumatologie utilise la métaphore du “document Word” que je trouve très parlante pour expliquer le processus de la mémoire à court et à long terme :

Un souvenir, c’est comme un document Word, tant qu’il est ouvert vous pouvez le modifier ou effacer tout le contenu, tant que vous n’avez pas cliqué sur “Enregistrer”, le document est traité dans la RAM (= la mémoire à court terme). Si votre ordinateur plante, vous risquez de perdre tout le document ou au moins une partie. À partir du moment où vous cliquez sur “Enregistrer” (= consolidation), le document est sauvegardé sur votre disque dur (= mémoire à long terme).

À chaque fois que le souvenir est réactivé, il repasse dans la mémoire à court terme et redevient modifiable, c’est ce que l’on appelle la reconsolidation :

Le document Word est rouvert, on peut de nouveau le modifier, jusqu’à ce que l’on clique de nouveau sur “Enregistrer”.

La reconsolidation dans le cadre d’un traumatisme psychique a pour effet négatif “d’enregistrer” à chaque fois plus d’émotions désagréables lorsque le souvenir ressurgit soit de manière intrusive, soit lorsque l’on raconte ce qui s’est passé.

Les phases de l’accompagnement du traumatisme psychique

Nous devons à Pierre Janet (1859-1947) la structure de l’accompagnement thérapeutique du stress post-traumatique et aujourd’hui, la plupart des approches spécialisées suivent plus ou moins les mêmes phases. Dans mes accompagnements avec l’hypnose, je suis ces 3 phases essentielles avec des allers-retours de l’une vers l’autre si nécessaire :

1. La stabilisation émotionnelle

Dans un premier temps, il est important de travailler à rééquilibrer le système nerveux et émotionnel, à l’aide de techniques d’hypnose de relaxation et d’outils comme le “lieu de sécurité” ou “le contenant”. Cette phase permet de réduire l’hyperactivation du système nerveux en favorisant un accueil plus apaisé des émotions, ce qui a pour effet de réduire également les symptômes tels que l’anxiété, l’insomnie, les cauchemars etc …

Cette phase comprend également un travail sur les ressources, à la fois sur le plan cognitif et psychocorporel avec des outils qui permettent de réactiver l’accès aux ressources naturellement présentes en chacun·e, que ce soit à travers le souvenir-pensée ou celui des des sensations.

2. L’exposition au souvenir traumatique

Le cœur de l’accompagnement du stress post-traumatique par l’hypnose repose sur la technique des “scénarios réparateurs”, sur lesquels je reviendrai plus en détail dans le chapitre suivant et qui consiste à se confronter au souvenir traumatique en y apportant des modifications visant à traiter et expurger la charge émotionnelle liée au souvenir.

Tout en s’assurant de maintenir la personne dans sa fenêtre de tolérance émotionnelle grâce aux outils mis en place dans les séances précédentes, chaque souvenir traumatique est retrouvé et retraité. Les émotions peuvent alors à nouveau circuler en toute sécurité, certaines choses peuvent s’exprimer (sentiment d’injustice, de culpabilité …) et sous hypnose, l’inconscient peut proposer une “réparation” si nécessaire.

3. La réintégration de la personnalité

Une fois le travail de retraitement du traumatisme effectuée, il s’agira d’affiner l’accompagnement en fonction des besoins de la personne. En effet, dans certains cas, le traumatisme et ses conséquences ont pris tellement de place, qu’il est nécessaire de travailler à la réintégration d’une personnalité libérée du trauma. Lors de cette phase, différents protocoles peuvent être proposés de façon individualisée : travail relationnel, renforcement du soi (estime, confiance), expression des émotions, affirmation de soi…

Le scénario réparateur en hypnose

Le retraitement et la réintégration des événements traumatique reposent sur la phase d’exposition au souvenir traumatique. Toutefois, il ne s’agit pas simplement de réactiver le souvenir sous hypnose, mais d’utiliser à bon escient les différents mécanismes de l’hypnose en lien avec ce que l’on sait d’un point de vue des neurosciences sur le fonctionnement de la mémoire.

La méthode consiste d’abord à placer la personne dans un état hypnotique léger en permettant une attention hautement focalisée sur l’intérieur tout en se coupant de l’extérieur. Ensuite, le souvenir est réactivé et immédiatement, je propose des modifications du scénario par l’introjection de ressources ayant fait défaut lors de l’événement : personnes-soutien, protection physique pour se mettre en sécurité, capacités ou possibilités d’action ou de réaction (fuite, appel à l’aide, self-défense…), capacités de compréhension… Il s’agit de séances d’hypnose interactives où je suis pleinement présente aux côtés de la personne accompagnée, comme un pilier solide sur lequel elle peut s’appuyer, une lumière qui guide dans la tempête émotionnelle. Rapidement, les émotions sont traitées, libérées et apaisées avant que le souvenir soit de nouveau intégré à la mémoire à long terme, débarrassé du poids des émotions.

Si on reprend la métaphore du document Word :

Le travail en hypnose consiste à rouvrir le document du trauma, à faire les changements nécessaires pour que l’émotion soit libérée, puis à enregistrer le document sur le disque dur.

Les avantages de l’hypnose dans la confrontation aux souvenirs traumatiques sont multiples :

• La dissociation permet la mise à distance des émotions afin de maintenir un niveau d’émotions dans la fenêtre de tolérance ;
• L’état hypnotique favorise l’accès aux souvenirs émotionnels ;
• La personne trouve elle-même, intuitivement des solutions en accédant à ses ressources inconscientes ;
• Le cerveau intègre le nouveau scénario comme ayant été vécu.

Pour + d’informations sur les symptômes du traumatisme psychique, consultez l’article “Reconnaître le traumatisme psychique”.

Visionnez un court extrait d’une séance d’Évelyne Josse avec une patiente souffrant de Trouble de Stress Post-Traumatique suite aux attentats de Bruxelle.
Pour aller plus loin, vous pouvez également visionner la conférence d’Évelyne Josse sur le traumatisme, la reconsolidation de la mémoire et les psyhothérapies (EMDR et hypnose), animée par Fanny Weytens (PsyForMed).